La donne de base
Il y a quelques années, j’avais dû réaliser des photos de micro-sculptures de l’artiste anglais Willard Wigan (quand j’écris micro, c’est vraiment tout petit-petit!). Ses sculptures sont taillées pour se loger dans le chas d’un aiguille. Du coup, j’avais dû faire plein de tests pour un résultat qui m’avait quand même laissé sur ma faim.
J’ai envie aujourd’hui de m’y remettre pour le fun et pour voir si j’arrive à d’autres résultats, en testant et comparant de manière plus pragmatique les différentes solutions macros qui sont accessibles sans partir (dans un premier temps) sur des méthodes complexes.
Je dénombre cinq procédés « courants », à savoir l’utilisation:
- d’une bonnette d’approche
- d’objectifs spécifiques macro
- de bagues ou d’un soufflet pour allonger le tirage
- d’un objectif standard (non macro) en position retournée ou inversée
- d’un objectif standard (non macro) retourné sur un téléobjectif.
Avant de commencer, voyons le protocole de test
Je vais travailler dans des conditions simples et reproductibles, c’est-à-dire
- en studio, au flash,
- sur pied à colonne de studio
- avec deux sujets inertes sans trop de volume (ce qui amène le moins de profondeur de champ possible)
- en réalisant les prises de vue au Z6, toutes en mise au point manuelle, avec retour vidéo 100% et peaking pour la meilleure netteté possible
- à f/8 ou f/11 en corrigeant le manque de lumière par la variation de la puissance du flash, sans toucher les ISO.
Comme sujets, j’ai choisi une aiguille (pour donner une échelle de la taille des micro-sculptures) et un billet de 20.- CHF, qui fourmille de détails tels qu’un texte miniature, illisible à l’œil nu. [ Détails du billet sur le site de la BNS. ]
L’aiguille est fixée sur le billet de banque, dressé parallèle au plan du capteur, sur un support mobile. Ce dernier consiste en un ancien plateau croisé XY qui me permet de déplacer le sujet en avant ou en arrière, ou de droite à gauche, et de le positionner précisément dans l’axe optique. Pour la hauteur, je joue avec celle du pied à colonne.
Enfin, je règle l’objectif sur la butée de mise au point minimale ou sur l’infini en fonction des différentes méthodes de prises de vue et j’effectue une mise au point précise en approchant ou en éloignant le sujet de la lentille (c’est la méthode Grock pour ceux qui connaissent).
Méthode 1: les bonnettes
Aïe! Ça commence mal car je n’ai pas de bonnette à proprement parler dans mon arsenal. Je trouve une bonnette Cokin close-up +1. Je la teste avec le 50mm f/1.4 fixé sur sa mise au point minimale.
50 mm à sa mise au point minimale
50 mm avec close-up +1
Sérieux? je ne peux pas commencer un test d’une manière aussi peu rigoureuse! Certes, cette lentille supplémentaire permet une mise au point rapprochée, mais ce n’est pas de la macro et ça n’apporte strictement rien à la démonstration. Il est impossible de deviner qu’il y a un texte aux alentours du chas de l’aiguille.
Résultat > Faute de matériel adéquat, je ne peux pas prendre en compte cette méthode.
Méthode 2: les objectifs macro
Attachons-nous maintenant la méthode la plus simple à mettre en œuvre, car il n’y a pas d’artifice supplémentaire: 3 optiques macro Nikkor en monture F. Je monte les optiques via le FTZ sur le Z6.
- le AF-S Micro-Nikkor 60mm f/2.8G ED
- le PC-E Micro-Nikkor 85mm f/2.8D (sans utiliser ni la bascule, ni le décentrement)
- le AF-S VR Micro-Nikkor 105mm f/2.8G IF-ED
Pour les personnes qui ne sont pas familières avec les abréviations des optiques Nikon, voici un bref lexique
Micro : chez Nikon, les objectifs spécialisés pour la macrophotographie utilisent le terme « Micro ».
AF-S = objectif équipé d’un AutoFocus (mise au point automatique) avec moteur SWM (Silent Wave Motor).
PC-E = Perspective Control Electromagnetic diaphragm: objectif à décentrement (permet de corriger les effets de perspective) et à bascule (permet d’obtenir une grande profondeur de champ même avec une grande ouverture).
ED = verre à dispersion ultra-faible.
IF = mise au point interne.
G = absence de bague d’ouverture.
VR = réduction des vibrations.
Si l’on compare ces 3 optiques, nous obtenons le tableau suivant:
Les deux différences primordiales qui nous intéressent ici sont
- le rapport de reproduction. Echelle 1:1 pour les 60 et 105mm, 1:2 pour le 85, ce qui correspond à 1cm sur l’image = 1 (ou 2)cm dans la réalité.
- et la distance de mise au point minimale qui varie de 1,8 à 3,9cm.
Cette dernière qualifie de fait les optiques macro: c’est parce que la mise au point minimale autorisée est courte, que l’objectif permet la macro. Voici les trois images obtenues avec ces objectifs.
Comme annoncé, le 60 et le 105mm ont le même rapport d’agrandissement; la mise au point du 60 est plus courte, mais son angle de champ est plus large que celui du 105. Donc en pratique cela donne des images assez similaires une fois calées à 100%. On peut juste travailler à une plus grande distance du sujet avec la focale plus longue, mais le résultat est le même. Cette plus grande distance de mise au point est utile en entomo-macrophotographie, pour ne pas effrayer les insectes et laisser passer un peu plus de lumière entre la lentille et le sujet.
Résultat > pour cette méthode, je choisis le 105mm macro.
Méthode 3: l'allongement du tirage mécanique
Plus le sujet est proche de la lentille frontale de l’objectif, plus le tirage doit être allongé pour rendre le sujet net. Donc pour dépasser le facteur de grossissement de 1:1, il faut ajouter des bagues allonges entre l’objectif et le boîtier, ou monter le tout sur un soufflet. Comme l’allongement du tirage fait perdre une grande quantité de lumière, il faudra compenser cette perte par une augmentation de la puissance lumineuse du flash (ou une montée en puissance des ISO).
J’utilise ici exclusivement des objectifs EL 50mm f/2.8 d’agrandisseur, qui n’ont pas de système de mise au point. La netteté s’obtient en faisant varier la distance entre le sujet et l’objectif, le tirage restant quant à lui totalement fixe.
Et je pars du principe que pour dépasser le rapport 1:1, il me faut une allonge de plus de 50mm…
Je vais travailler avec une rampe hélicoïdale, en la positionnant à 60mm, puis à 90mm. Pour les tirages supérieurs, j’utilise un soufflet PB-4, successivement à 120mm puis à 150mm.
La conclusion (basique, très basique…) de cette méthode est que plus on allonge le tirage, plus on grossit le sujet. Et qu’à 60mm de tirage pour un 50mm, ce n’est pas vraiment de la macro…
Résultat > Pour moi, l’image la plus probante obtenue avec cette méthode est la 4e, le 50mm avec un tirage de 150mm.
Méthode 4: le retournement d'un optique standard (= non macro)
Cette méthode consiste à retourner une optique standard, ce qui aura pour effet de remettre les rapports de distance dans le bon ordre et de faire travailler l’objectif de manière conventionnelle. A savoir qu’en prise de vue « normale », la distance entre le sujet et le centre optique est plus longue que la distance entre le centre optique et le capteur. Or en prise de vue « macro », c’est le contraire. Et si on retourne l’optique, on remet tout dans le bon ordre.
Le matériel utilisé ici est:
- un FTZ pour passer de la monture F à la monture Z
- une bague d’inversion BR-4 qui permet de visser des optiques ayant un diamètre de filtre de 52mm en position inversée
- si besoin, une bague d’adaptation pour passer du 52mm à un autre diamètre.
Et pour l’optique en position retournée, j’utilise des optiques « normales » disposant encore d’une bague de diaphragme et d’un diamètre de filtre qui correspond aux bagues d’inversion:
- un Nikkor 20mm f/2.8 AF-D
- un Nikkor 24mm f/2.8 Ai’ed
- un zoom Nikkor 35-105mm f/3.5-4.5 Ai @35mm, puis @50mm.
L’idée est de disposer de différents angles de champ entre le 20mm et le 50mm.
Dans cette 4eméthode, on remarque d’emblée que plus l’angle de champ est large, plus le rapport d’agrandissement est important.
Résultat > Je valide pour cette méthode le 20mm en position inversée.
Méthode 5: le retournement d'un optique standard (= non macro) sur un téléobjectif en position normale
On a tendance soit à ne pas se souvenir de cette méthode peu académique, soit à ne pas l’appliquer… Pour cet exercice, je renverse un 50mm standard sur un 200mm en position normale. Il existe des bagues d’inversion qui autorisent et facilitent ce montage. Ensuite, je travaille avec le 200mm à pleine ouverture, mise au point sur l’infini, et je fais uniquement varier le diaphragme du 50mm inversé pour moduler l’entrée de lumière et augmenter la profondeur de champ. Normalement, la mise au point du 50mm devrait être aussi fixée à l’infini pour obtenir l’agrandissement maximal, mais je triche un peu pour obtenir une profondeur de champ acceptable.
Avec cette 5eméthode, on remarque que le résultat est probant: un très fort taux d’agrandissement.
Résultat > Je valide pour cette méthode.
En conclusion
Je retourne ci-après les meilleurs résultats de chaque méthode:
Les grossissements vont crescendo en fonction des méthodes employées.
La méthode 4 qui consiste à simplement retourner un grand angle avec une bague d’inversion donne à mon sens le meilleur rapport agrandissement / facilité pour toutes les images macro à réaliser couramment. Mais le 20mm (avec un diamètre de filtre de 62mm) me semble être le plus grand angle que l’on puisse adapter avec cette méthode.
Je n’ai testé la méthode 3 qu’avec un 50mm en position normale et à un tirage maximal de 150mm sur le soufflet. Il y a là une marge d’exploration en faisant simplement varier la focale et/ou en retournant l’objectif. Et donc la potentialité d’obtenir des résultats encore meilleurs.
Avec la méthode 5, j’obtiens le meilleur résultat, de manière totalement empirique, en ne testant qu’un 50mm inversé sur un 200mm. Il faut aussi encore explorer cette solution avec d’autres focales, car pour réaliser une photo correcte d’une micro-sculpture, on est malheureusement encore à la limite inférieure.
Dans un prochain article, je vais m’attacher plus à fond à ces deux dernières méthodes pour voir quelle serait la marge de manœuvre encore disponible.